Cher Dany Laferrière,

Eh bien voilà, vous avez gagné le combat des livres à l’émission de Christiane Charrette. Des 5 livres en compétition, le vôtre était le meilleur, je n’en ai jamais douté. Et pourtant, ce fut un combat épique!

Premier jour : tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. On présente nos livres, on se mesure à nos adversaires avec civilité, on se sourit beaucoup.

Deuxième jour : trois concurrents décident d’éliminer « L’homme invisible/invisible man de Patrice Desbiens au grand désespoir de Thomas Hellman qui défend ce livre avec beaucoup d’éloquence. Un beau livre, poétique et qui sonne vrai et dru. La parole d’un franco-ontarien qui expose sa dualité identitaire avec maîtrise. Je défends ce livre. Thomas perd, il en est un peu triste.

Troisième jour : les trois mêmes s’en prennent à L’énigme du retour. Leur stratégie est simple : éliminer le meilleur comme ça ils auront une chance de gagner. Je m’y attendais. La joute est rude, certains arguments faisant appel à une certaine démagogie : c’est trop facile, ce n’est pas un choix audacieux, ce roman est moins pertinent que le Survenant pour exprimer les débats identitaires d’aujourd’hui. Oui, le Survenant : un beau roman… mais qui se passe en 1910 et n’a pas grand-chose à voir avec les questions complexes d’aujourd’hui. Thomas défend votre livre brillamment. Je travaille fort moi aussi. Finalement, c’est Christopher Hall qui sauvera la mise en décidant à l’ultime minute qu’après tout, il ne peut pas éliminer votre si beau roman. C’est donc Jean Barbe et son « Comment devenir un ange » (bon livre, au demeurant) qui passera à la trappe du combat des livres.

Quatrième jour : je respire un peu. Christiane Charrette nous apprend que le débat portera sur le Survenant et sur le Cantique des plaines de Nancy Huston. Je défends ce dernier livre car la complexité des personnages m’intéresse et la description sociologique de l’Alberta des pionniers est tout simplement fascinante. Je perds, c’est le Survenant qui se rendra en finale.

Cinquième jour : le grand jour. On est tout un peu nerveux, surtout Christian Dufour et moi. Il défendra son choix avec la dernière énergie allant jusqu’à implorer Christopher Hall de l’appuyer. Moi je ramène mes arguments principaux : L’Énigme du retour est un livre d’une grande poésie, sa structure narrative est vraiment originale. C’est le livre d’un retour au pays de l’enfance, et sa puissance évocatrice me touche infiniment. Ce livre doit être dégusté lentement, pour en apprécier chaque strophe, qu’elle décrive un paysage ou une rencontre ou bien qu’elle assène, mine de rien, une grande vérité existentielle. Thomas Hellman ajoutera que c’est un livre  qui décrit la complexité identitaire d’aujourd’hui et la richesse d’un Québec métissé mais regroupé autour d’une langue commune.

Et finalement, votre livre est sacré vainqueur. Au total tout le monde est heureux. Le combat est terminé et plusieurs conviennent que L’Énigme…était le meilleur livre.

Toute une expérience! J’ai aimé…avec réserve. C’est stressant, amusant, stimulant. Mais lorsque l’on tente d’éliminer un livre parce qu’il est le meilleur, c’est vraiment bizarre. Nous ne sommes plus sur le terrain de la littérature mais sur celui d’un jeu un peu cruel.

Je suis honorée, cher Dany Laferrière, d’avoir porté les couleurs d’un livre qui a enchanté mon automne. Tout le mérite de la victoire vous revient.

Bien à vous,

Françoise David

Votre point de vue (1 commentaire)

  1. Richard Langelier
    Lundi 29 mars 2010 à 23 h 47

    Bonjour Françoise,
    Par hasard, je suis tombé sur le concours du meilleur film québécois à l’émission de Marie-France Bazzo à la télé, l’an dernier, je crois. Je n’avais pas saisi ce principe du vote stratégique. Tu viens de l’expliquer clairement. Je me retiens de faire une longue digression sur notre mode de scrutin. «Les bons débarras» avait été éliminé par un vote stratégique, alors que ce scénario de Réjean Ducharme et le jeu de Charlotte Laurier et Marie Tifo me font vibrer lorsque je le revois pour la 20e fois à la télé.

    Après l’adolescence, j’ai lu peu de romans. Par contre, lorsqu’un film que j’apprécie est une adaptation d’un roman, je cours à la bibliothèque. Je suis toujours agréablement surpris par la richesse de la psychologie des personnages [1].

    La dernière gagnante de La course autour du monde (mon vieux cerveau souffre d’amnésie) avait terminé sa course à Haïti. Elle est née au Québec de parents haïtiens qui lui ont appris le créole. Évidemment l’Haïti qu’elle avait vu ne correspondait pas à celui qu’elle avait imaginé à partir des souvenirs de ses parents.

    Je suis d’abord une bête politique. Ce que j’ai vu dans L’insoutenable légèreté de l’être de Kundera, c’était le Printemps de Prague et la «normalisation». Ce que j’ai vu dans les romans précédents lorsqu’ils étaient disponibles à la Bibliothèque municipale de Montréal, c’était le stalinisme.

    Lorsque Pierre Bourdon a appris qu’il souffrait de la sclérose en plaques, il a dit à un journaliste du Devoir qu’il lisait un roman par jour depuis l’adolescence. Après avoir fait ses lectures de cours et lu des dossiers du matin au soir lorsqu’il était sur l’exécutif de l’Association des étudiants de l’Université de Montréal, ses dossiers comme conseiller syndical, ses dossiers comme député, il lui était essentiel de lire un roman par jour. Réaliser qu’il avait de la difficulté à lire une page a été évidemment un choc terrible…

    Je réserve de ce pas L’énigme du retour. Je n’ose pas dire que c’est grâce à toi. Je ne veux pas dévoiler le secret ministériel, mais dans le premier jet de «Bien commun recherché», tu t’étais attardée à critiquer Denys Arcand, non pas contre «Les invasions barbares» mais contre ses interventions répétées contre le système de santé québécois. Esther t’avait dit: «lâche-le don’». «Je n’ai pas le choix, je suis la seule». Tout allait bien puisque mes finances ne me permettaient plus d’aller au cinéma et que ma cheuffe m’interdisait d’aller voir ce film. En zappant samedi soir, j’ai vu la dernière scène à Radio-Can, après 10 minutes de pub. La bête politique se réveille: «comment acceptons-nous des pubs lors d’un film?» [2]

    Je sais que je dégusterai L’énigme du retour. Au Parti communiste français aussi, on savait avant d’avoir lu. Mais «Cé comme Corbeil, cé pas pareil». Frenchie Jarraud fait hélas partie de ma culture «canayenne-française».
    - Patience, mon gars, la nuit viendra, pour t’reposer de cette vie-là, chantait Léveillée dans Le chauffeur de taxi.

    [1] L’exception étant Le crime d’Ovide Plouffe dont Denys Arcand a fait un petit bijou, alors que le roman est, on ne peut plus fade. Les commentateurs du roman Les Plouffe avaient dit avec raison que Roger Lemelin avait dépassé les études sociologiques sur la famille canadienne-française. Il s’est pris pour un sociologue des origines de la Révolution tranquille en rédigeant Le crime d’Ovide Plouffe.

    [2] La présentation des Enfants du refus global de Manon Barbeau que de nombreuses personnes avaient critiqué sans l’avoir vu était aussi interrompue par des pubs toutes les dix minutes.

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